Le producteur et musicien jamaïcain de reggae Lee 'Scratch' Perry, de son vrai nom Rainford Hugh Perry, vient de tirer sa dernière révérence. Expérimentateur de son de génie, roi du dub avec King Tubby, il avait su malgré l'alcool et la ganja et, tel un phénix renaissant des cendres de son studio brûlé en 83, relancer sa carrière internationale et défendre les couleurs du reggae dans sa diversité Ska, rocksteady, reggae, dub, drum and bass.
Mystique, il aimait raconter le jour où il a eu sa révélation lorsqu'il travaillait à la construction des routes : "Les chocs des pierres faisaient des sons, et soudain j'ai entendu un son de tonnerre. J'ai vu un éclair, et j'ai entendu une voix qui m'a dit d'aller à Kingstone, à King-Stone, ce qui veut dire le roi des pierres, l'âme des pierres, c'est de là que vient la musique..."
Sa carrière musicale débute à Kingston dans les années 1950, époque durant laquelle fleurissent les "sound system" (discomobile) devenus populaires dans les ghettos de Kingston et animés par des DJ notamment par deux stars de la scène : Clement « Coxsone » Dodd et Duke Reid. Perry enchaîne, durant une vingtaine d'années, les prestigieuses collaborations en tant que producteur : Bob Marley et les Wailers, Junior Murvin ou encore Max Romeo et crée son label en 1968 : The Upsetter tout en signant un contrat avec Trojan, maison de disque britannique spécialisée en reggae qui sortira une centaine de titres.
Puis viennent les prolifiques années 70 avec la création de son propre studio d'enregistrement : le mythique "Black Ark" constitué électriquement par l'ingénieur du son King Tubby avec une table de mixage Soundcraft, un magnétophone à bande Teac 4 pistes, une réverb à ressort Grampian et un module d'écho Roland Space Echo RE201, couplé à un prototype de phaser Mutron Bi-Phase.De nombreux sons novateurs du reggae de la deuxième moitié des années 70 sortent du studio et Perry est reconnu comme un inventeur de son et un remixeur de grand talent notamment grâce au magnétophone 4 pistes qui permet d'enregistrer des couches de sons, les unes sur les autres, afin de composer les morceaux.
En 1974, King Tubby alias Osbourne Ruddock, invente le dub (reggae remixé) et plus précisément le dub roots avec l'album "Dub from the roots" enregistré dans son propre studio Home Town Hi-Fi. Le musicien est ainsi à l'origine d'une série d'effets appliqués aux sons (réverbération, écho, phaser, amplification de certains instruments par rapport aux autres, notamment du couple rythmique basse/batterie. Une console MCI viendra compléter l'attirail l'année suivante, achetée au studio Dynamic Sounds sur les conseils de Bunny Lee alias Edward O'Sullivan Lee, autre grand producteur de reggae décédé en 2020. Il avait entre autre avec Prince Buster ou Perry, disputé le leadership de la scène musicale au grand Clement "Coxsone" Dodd, qui régnait en maître avec le Studio One. Bingo, la console et en particulier son filtre passe-haut (Big Knob) permet d'obtenir un effet très caractéristique du dub et les années 70 verront l'âge d'or de ce genre musical à succès grâce à de nombreux illustres labels : Burial Mix, Jarring Effects, Rhythm and Sound, Sounds Around, Studio One, Trojan Records...etc.
Pour la petite histoire (et la grande Histoire de la musique), King Tubby meurt assassiné dans son studio en 1989 juste avant la grande explosion électronique qui engendra de nouvelles formes de « bass-music » : ambient, techno, hip-hop trance... dont il est à l'origine.
En 1975, inspiré par King Tubby et ce nouveau genre, Lee Perry enregistre, dans son studio, avec son groupe The Upsetters, dont il est le chanteur, l'album King Tubby Meets The Upsetter At The Grass Roots Of Dub puis Blackboard Jungle Dub. Il contribuera, pierre après pierre, à faire évoluer le gros son reggae et le sampling et influencera la musique jamaïcaine. 69 albums studio suivront enregistrés par celui que Bob Marley, dans une interview, avait appelé "le génie" et de nombreux concerts mémorables tellement son charisme et son "grain de folie" faisaient de Perry un showman exceptionnel.
Sitographie sélective :
- Un concert filmé par Samuel Petit en 2017 à la Philharmonie de Paris "Jamaican Revue : Lee Scratch Perry and the homegrownband" (Pour accéder au concert : renseigner en amont vos identifiants sur ce portail avant de cliquer sur le lien et ensuite sur accéder à la ressource. Si vous n'êtes pas inscrit à la ressource de la Philharmonie de Paris, inscrivez-vous au service : c'est totalement gratuit il suffit d'être inscrit dans une des bibliothèques du réseau des bibliothèques du Cher ! Mode d'emploi et formulaire ici.) En hommage à Lee Perry, ce concert est également disponible jusqu'au 29 octobre 2021 sur Arte concert.
Si vous aimez le reggae, la Philharmonie à la demande vous propose une sélection de ressources autour de la Jamaïque et du reggae : des concerts et extraits de concerts choisis parmi les archives audio et vidéo de la Cité de la musique - Philharmonie de Paris ainsi que deux documentaires sur des sujets connexes (sélection suite à l’exposition Jamaïca Jamaïca ! de Marley aux deejays (commissaire de l'exposition : Sébastien Carayol).
- Un documentaire-portrait réalisé par Volker Schaner en 2014 : "Lee Scratch Perry's vision of paradise" à visionner sur Arte Concert.
- Un hommage du sorcier du son avec une émission, animée par Susana Poveda et réalisée par Denis Soula, diffusée le 19 août, jour de sa disparition, est à réécouter sur la radio FIP : Lee 'Scratch' Perry (1936-2021) ou encore un numéro de "VERY GOOD TRIP" : l'émission consacrée à la musique de Michka Assayas sur France Inter intitulée : Eloge de Lee Perry, visionnaire du son, au-delà du reggae.
- Une biographie et une discographie sur reggae.fr, un site spécialisé reggae et sur Wikipedia.
- un article des inrockuptibles signé Vincent Tarrière intitulé "le dub : l'origine du son"
Dans le catalogue de la Médiathèque départementale du Cher : des livres, CD, DVD sur le Dub jamaïcain à réserver sans modération
Crédits photos : Lee Scratch Perry and the homegrownband en concert à la philharmonie de Paris en concert à la philharmonie de Paris en 2017